Soulages : le noir ?
A ce même moment, je songeais encore à la toile exposée dans le salon. J'avais remarqué qu'un faisceau de lumière dirigé vers elle modifiait sa surface apparemment plane en un volume strié de fines nervures qui, dans leur partie basse, formaient un vaste et voluptueux mouvement de vague.
Désormais, il m'était impossible de refuser un lien qui s'imposait autant à mes yeux qu'à ma conscience : dans la trace des sillons dessinés, je retrouvais le plan de la mer,
son bercement même, jusqu'au poids de sa matière ondulée.Ainsi pensais-je, il n'existe pas de peinture abstraite puisque celle que l'on a coutume de définir par ce mot si vide ne relève, en fait, que d'une densité réelle
de formes vivantes et rythmées;de cette cadence naturelle qui compose la vie du monde en son point le plus constant, le plus durable;
celui d'une pérennité dont l'homme n'a point idée, qui commande à sa vie et quelquefois, au grand sujet de son art.
(Pierre Soulages ou la transparence du noir. Jacques Laurens. Verdier/Poche)
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